Les dimensions de l’orientation sexuelle

par Pierre Massicotte

Le célèbre Alfred Kinsey, qui a effectué, aux États-Unis, une grande enquête sur le
comportement sexuel des hommes et des femmes au tournant des années 1950, part du principe que l’homosexualité et l’hétérosexualité ne sont pas deux orientations sexuelles et amoureuses exclusives.

Elles constitueraient plutôt les pôles d’un même continuum de l’orientation sexuelle, une échelle unique à une dimension, selon laquelle l’homosexualité et l’hétérosexualité sont en quelque sorte en concurrence l’une avec l’autre chez un même individu (c’est-à-dire que plus on est porté vers l’homosexualité, moins on l’est vers l’hétérosexualité, et vice versa).

Cette échelle, graduée entre hétérosexualité (0) et homosexualité (6), avait comme but d’évaluer les individus en fonction de leurs expériences et leurs réactions psychologiques

1. Exclusivement hétérosexuel(le)
2. Prédominance hétérosexuelle, expérience homosexuelle
3. Prédominance hétérosexuelle, occasionnellement homosexuel(le)
4. Bisexuel sans préférence
5. Prédominance homosexuelle, expérience hétérosexuelle
6. Prédominance homosexuelle, occasionnellement hétérosexuel(le)
7. Exclusivement homosexuel(le)

D’autres chercheurs [1], ont plutôt proposé que l’hétéro-érotisme et l’homo-érotisme sont à mettre sur deux échelles indépendantes l’une de l’autre, ce qui donne quatre grandes possibilités en -qui a trait à l’orientation sexuelle : homosexualité (dominante homo-érotique), hétérosexualité (dominante hétéro-érotique), bisexualité (composantes homo et hétéro-érotique fortes), asexualité (composantes homo et hétéro-érotique faibles). Schématiquement, on peut présenter les choses ainsi :

	Homo-érotisme fort	Homo-érotisme faible
Hétéro-érotisme fort	Bisexualité	Hétérosexualité
Hétéro-érotisme faible	Homosexualité	Asexualité[2]

Si ces deux tendances qui coexistent à l’intérieur de chacun des individus sont indépendantes en principe, elles demeurent vraisemblablement corrélées négativement (plus l’une est forte, plus l’autre a tendance à être faible) dans notre culture, étant donné que beaucoup de gens croient que ces deux orientations sont incompatibles.

Quelques années plus tard, d’autres chercheurs [3] ont proposé 7 dimensions indépendantes dans l’orientation sexuelle. Ce sont les comportements sexuels, les émois sexuels, les fantasmes érotiques, la préférence émotionnelle (la préférence en matière de relations affectives), la préférence sociale (les gens avec qui on préfère interagir socialement), le style de vie sexuel et l’identité (la catégorie dans laquelle on se range soi-même). [En anglais : sexual behaviors, sexual feelings, erotic fantasies, interpersonal affection, social preference, sexual lifestyle, and self-identification.] Cette dernière conception de l’orientation sexuelle vient complexifier énormément les choses : il y aurait 128 orientations sexuelles différentes (2 à l’exposant 7). Pour deux personnes, le nombre de combinaisons possibles des orientations sexuelles se chiffre à 128² ou 16384! La probabilité que deux personnes aient exactement la même orientation sexuelle se chiffre donc à 1/16384 ou 0,0061 %.  Trouver son double ou son alter ego relève donc d’un exploit, qui peut faire penser à la lotterie!

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[1] Shively and De Cecco (1977). Components of sexual identity. Journal of Homosexuality, 3, 41-48.

[2] Alfred Kinsey, qui pour ses enquêtes a interrogés plus de 10 000 personnes hommes et femmes, n’a pratiquement pas trouvé d’asexualité chez les hommes; alors qu’environ 15 % de jeunes femmes adultes se sont dites dépourvues de tout intérêt, expérience ou fantasme sexuels. Kinsey s’est donc senti obligé d’ajouter la catégorie « asexualité » à sa classification de la sexualité féminine.

[3] Klein, E, Sepekoff, B., & Wolf, T. J. (1985). Sexual orientation: Amulti-variable, dynamic process. Journal of Homosexuality, 11, 35-49. ; et McWhirter, D. P., Sanders, S. A., & Reinisch, J. M. (Eds.). (1990). Homosexuality/heterosexuality: The Kinsey scale and current research. New York: Oxford University Press.