Le confort ou le plaisir?

par Pierre Massicotte

« Je vous défie de faire jeûner un anachorète
sans donner, en même temps,
un nouveau goût à ses légumes. »
Montesquieu

Tout comme des enfants qui se lassent rapidement de leurs nouveaux jouets, les adultes ont aussi tendance à perdre rapidement conscience du plaisir qu’ils tirent de leurs possessions matérielles. À en juger par les images de vie pleinement vécue sinon de bonheur que la publicité nous présente sans relâche, et en tenant compte du niveau matériel de notre société, comment peut on expliquer le mécontentement général, l’anxiété ou l’ennui que l’on peut déceler derrière les malaises sociaux ou individuels? Pourquoi les travailleurs – même les mieux payés – ne ratent ils pas une occasion d’en demander toujours plus? Un salaire, aussi élevé soit il, ne peut-il jamais arriver à satisfaire le travailleur et à compenser les efforts du travail? Pourquoi les objets nous semblent ils toujours infiniment plus indispensables et attirants avant l’achat?

D’autre part, comment expliquer que des aventures sentimentales qui semblent au premier abord excitantes et prometteuses finissent parfois par sombrer dans l’ennui et la routine mortelles?

Il faut bien reconnaître que le plaisir est difficile à saisir. Il s’échappe parfois lorsqu’on croit se l’être assuré. L’orgasme n’est même pas la garantie du plaisir : des éjaculations de nature presque réflexe sont possibles, pendant lesquelles la perception réelle du plaisir reste minime. De toutes façons, ce dernier a tendance à disparaître assez rapidement après l’acte : c’est d’ailleurs pourquoi le tantrisme oriental a essayé de mettre au point des techniques pour imprégner la conscience de la sensation de plaisir et pour la prolonger. Comme l’a déjà fait remarquer Rolland Barthes, un linguiste français très célèbre il y a deux décennies, il n’y a pas d’objet qui se trouve « dans un rapport constant avec le plaisir ».

Il existe donc une problématique du plaisir.

LES DÉCOUVERTES DE LA BIOLOGIE

D’après les découvertes de neurophysiologie, il existe, dans le cerveau humain, un centre de plaisir qui, lorsqu’il est stimulé, est à l’origine d’un flux inépuisable de sensations agréables. Pour être précis, on devrait dire qu’il existe dans le cerveau deux centres de plaisir différents, en plus d’un troisième qui provoque des réactions opposées d’aversion ou de déplaisir. Lorsque l’organisme est stimulé (que la stimulation origine du monde extérieur par l’entremise des sens, du milieu intérieur de l’organisme, comme des muscles ou des organes internes, ou alors de l’activité cérébrale elle même, de l’activité intellectuelle, etc.) son niveau d’activation a tendance à augmenter. Le premier centre du plaisir s’en trouve stimulé et cela est généralement ressenti subjectivement comme agréable. Mais si l’intensité du stimulus continue d’augmenter, le niveau d’éveil augmente encore et à un certain point, le centre d’aversion entre en jeu, bloquant l’activité du centre de plaisir : l’individu vit alors des sensations désagréables. C’est ici que le deuxième centre du plaisir peut intervenir : s’il est stimulé (par exemple à la suite d’un bon repas ou d’une éjaculation), il diminuera le niveau d’éveil ou d’excitation, il inhibera le fonctionnement du centre d’aversion et permettra le retour de l’activité du premier centre de plaisir. Ainsi, la tension se relâchera, le malaise disparaîtra et le contentement pourra renaître.

L’interaction de ces trois centres permet de comprendre le déroulement de beaucoup de phénomènes courants dans nos vies, entre autres celui de notre sexualité : une augmentation du niveau d’éveil ou d’excitation est tout d’abord ressentie comme plaisante (stimulation du premier centre du plaisir), puis au-delà d’un certain seuil, peut devenir insoutenable, désagréable (enclenchement du centre d’aversion), enfin la diminution subséquente de la tension et du niveau d’activation(orgasme) restaure le calme.

Il semble exister un niveau d’éveil optimal : qu’il soit trop haut ou trop bas, on ressent de l’inconfort. Le confort résulte alors du niveau optimal d’activation ou d’excitation. Le plaisir provient de la variation (en général d’une chute rapide) du niveau d’activation lorsque ce dernier retrouve son niveau optimal.

Ce mécanisme biologique dont le fonctionnement a été schématisé pour les besoins de cet article, confirme néanmoins un certain nombre d’idées assez courantes concernant la nature éphémère du plaisir (« Plaisir d’amour ne dure qu’un moment…» dit la chanson) et la satisfaction très grande que peut procurer la poursuite des objectifs personnels, alors que leur réalisation, après le moment du triomphe, amène souvent une sorte de déception ou un certain sentiment de vide.

Mais l’une de des conclusions les plus surprenantes et des plus éclairantes sur la nature humaine! que l’on peut tirer de cette intéressante théorie, concerne le conflit permanent entre le confort et le plaisir. Si le plaisir provient de la variation du niveau d’activation ou d’excitation et que le confort consiste à maintenir le niveau optimal d’excitation, il s’ensuit que le manque de confort devrait précéder le plaisir et que trop de confort, ou du moins un confort ininterrompu pourrait exclure le plaisir. Comme l’observait Montesquieu il y a plus de deux siècles «…les peines des sens nous ramènent nécessairement aux plaisirs ». Mais chaque individu devrait donc faire un arbitrage dans chaque situation, et privilégier l’un au détriment de l’autre, en quelque sorte. L’habitude de préférer l’un ou l’autre constitue un trait de caractère propre à chaque individu et exerce une influence considérable sur son style de vie et sa personnalité. De plus, l’orientation vers le plaisir ou le confort de chacun des partenaires joue un rôle capital dans l’équilibre d’un couple gai, comme on le verra bientôt.

Mais notons que le choix ne se fait pas toujours consciemment ou en connaissance de cause et bien des facteurs l’influencent. Parmi ceux ci, notons l’organisation économique de notre société qui favorise systématiquement le confort au détriment du plaisir. Elle ignore la source principale de plaisir pour un ventre repu du moins qu’est la variété. C’est le régime du travail stable et monotone, du bungalow de banlieue construit en série, de la monogamie respectable, des voyages organisés d’ou l’aventure réelle est bannie avec soin et à grands frais, etc.

LE COUPLE GAI

L’un des coauteurs des PLAISIRS DE L’AMOUR GAI, le Dr Charles Silverstein, un psychologue qui a effectué une enquête auprès de plus de 190 gais vivants en couple, a déjà observé qu’il existe deux sortes d’hommes. Les uns ont une préférence marquée pour le confort et les autres, plutôt pour le plaisir : les premiers, les « pantouflards » (home builders), valorisent l’intimité, la stabilité et la qualité de la relation, alors que les « aventuriers » (excitement seekers) préfèrent l’autonomie personnelle, la compatibilité sexuelle avec le partenaire et apprécient – lorsqu’ils ne l’exigent pas! – la possibilité d’avoir des relations sexuelles fréquentes hors du cadre de leur couple, de leur relation privilégiée. L’exclusivité en matière sexuelle est perçue par l’aventurier comme une contrainte lourde et inutile : en effet, pour lui, la sexualité hors du couple n’est pas nécessairement le symptôme d’un problème dans le couple, mais peut provenir d’une simple recherche de nouveauté.

Seth, l’amant de Donald, est justement l’un de ces aventuriers. Donald raconte :

[…] Mais après un certain temps, j’ai commencé à comprendre. Je me suis dit : vers qui se tourne t il lorsqu’il revient à la maison, qui désire t il vraiment, qui aime t il profondément? Lorsque j’ai réalisé cela, j’ai compris. J’ai compris autre chose aussi : parfois, en rentrant à la maison vers trois ou quatre heures de matin, il venait se blottir contre moi et il me serrait avec passion. Je devinais ce qui était arrivé, je savais pourquoi il faisait cela.

Parfois, il sortait seulement pour bavarder. Il aime tant faire la conversation. J’ai compris que Seth ne cherchait pas un autre amant, mais voulait seulement du sexe. » (Silverstein, 1981, p. 130)1

Par contre, M. Sylverstein a remarqué que la sexualité passe parfois au second rang chez les « pantouflards » : l’auteur cite des cas où les partenaires s’estiment satisfaits de leur union, même si la compatibilité sexuelle laisse à désirer. Nous pouvons reconnaître derrière ces catégories un choix implicite entre le confort et le plaisir, deux dimensions de l’expérience humaine qui sont partiellement antagonistes et qui doivent, en conséquence, être négociées individuellement. Bien des facteurs peuvent influencer ce choix qui n’est jamais facile, et qui peut se modifier au cours de la vie.

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1. Silverstein, Charles (1981) Man to man. Gay Couples in America. Morrow & Cie, 348 pages.

 

Un commentaire pour Le confort ou le plaisir?

  1. Carol dit :

    Bonjour,

    Texte particulièrement intéressant a lire. Le contenue philosophique est très facile a lire et a comprendre. Ça nous donne une bonne opignon de ce qu’est le plaisir et le sexe.

    Très bonne recherche et ça nous fait prendre conscience que dans la vie chez certains individus le sexe peut prendre différentes formes. Affection, câlins, serré dans ses bras la personne que l’on aime…….

    Bonne continuité et bravo.

    Je reviendrai avec d’autres commentaires après avoir fait une autre lecture.

    Merci pour ces belles lecture qui nous rejoignent intérieurement.

    Carol Demers

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